(Au pôle sud, sur la banquise au moment où elle craque...)
D'immenses nuages pendaient du ciel comme des frises et se secouaient comme des vélums, et parmi leurs déchirures, leur agitation et leurs trous, le soleil explosait dans la couleur crépitante, éclaboussante comme celle d'un millier de projecteurs qui s'entre-déchirent et tournent, virent. Au-dessus de ce vertige de taches tourbillonnantes, délirantes et emportées comme de folles toupies, le vent montait son diapason de seconde en seconde. Maintenant, il glissait comme un rasoir continu, de long en large, tout au travers du champ de glace, et de longues fissures couraient derrière lui, des lézardes zigzaguantes, des craquelures, des coupures qui allaient s'élargissant comme des plaies et dont les lèvres fendues faisaient gicler immédiatement une eau noire et bouillonnante. Des jets d'écume bavaient. D'énormes icebergs culbutaient. Des champs de glace montaient les uns sur les autres, s'abordaient, s'écrasaient avec fureur. Dans les éperonnements, le pack était projeté en l'air et des blocs retombaient en ronflant comme de gros obus et en faisant rejaillir une trombe d'eau. Tout se concassait, se rompait, s'émiettait, se disloquait et, pris de frénésie, se mettait hystériquement en branle. Tout se lâchait, se vidait, par en haut ou par en bas, tout partait à la dérive, tumultueux, éperdu, désordonné, défaillant, aspiré, refoulé, tohu-bohu, fuite, panique des éléments en pagaïe, panique de la nature mise en déroute par la lanière cinglante du blizzard.
Blaise CENDRARS Dan Yack (1927)