Désobéir ensemble
un récit de Monsieur B.Au Parc de l’Europe de Saint-Étienne, il y a une piste cyclable qu’utilisaient jadis des écoles avoisinantes pour découvrir le Code de la Route. Les feux ne marchent plus depuis longtemps, mais la peinture des « routes » est entretenue. Cyclistes en herbe, trottinettes, rollers et hoverboards s’y côtoient dans une joyeuse anarchie. Peut-être est-ce justement ce demi-chaos qui a décidé un gamin à vouloir y mettre de l’ordre. Il n’a pas neuf ans, je pense, et s’est posté sur un rond peint au centre d’un des deux « carrefours » du circuit – le plus grand, le plus central. De là, avec force gestes et cris, il intime à tous de s’arrêter et pointe à chacun d’eux la direction à prendre ensuite. Ça amuse un temps. Et puis certains ne s’arrêtent plus. La colère du mioche décuple. Les cris deviennent des ordres menaçants, proches de l’insulte. Quelques parents lèvent un sourcil, prêts à intervenir. Mais quelque chose se passe soudain, qui relève d’un mécanisme social que je n’attendais pas ici. Le mioche est cramoisi de rage quand tout le monde finit par s’arrêter. Je ne sais pas qui a commencé mais celui qui prendra la parole est dans les derniers arrivés. Le contempteur reprend gorge, soudain persuadé de son autorité. Et recommence à dire qui doit aller où. Sauf que personne ne bouge. Le plus grand, un CM1 arrivé en queue de peloton sur son VTT déjà trop petit, demande alors : « Pourquoi tu nous dis où on doit aller ? » La réponse du demi-Longtarin est brutale et sonore : « Toi, tu dégages ! Tu dégages par là ! Allez ! » Mais personne ne bouge. Ils sont six autour de lui quand une fille en trottinette demande : « Pourquoi ? » Et tous les autres de s’y mettre. « C’est pas toi le chef. » « On va où on veut. » « Tu cries trop fort. » Au bout d'un petit temps, tout le monde s’en va. Il y a bien une dernière tentative, un baroud d’honneur aussi vain que pitoyable. Mais le crieur sort de scène, de dos hélas : je ne sais s’il a su garder une contenance au moment de son départ. Aucun protagoniste n’avait plus de dix ans, et un autocrate ridicule s’est fait bouter par une majorité qui n’était pas contre un ordonnateur, mais qui voulait qu'il fît sens.