La chute de ma cravate

une odyssée caféinée par JesuismonsieurB

La bordée d'injures que je viens de lâcher in petto n'a d'égale que la frustration subie depuis ce matin, où notre connexion internet est en rade un coup sur deux, nos logiciels accessibles une fois sur trois. Mais le pompon concerne cette cafetière, prêtée un temps par une secrétaire, qui vient de me vomir toute son eau alors que je récupérais ma tasse. Le pantalon, les chaussures sont trempées, le sol se jonche d'une flaque qui s'étend. (Qui eût cru qu'une Senseo contînt autant ?)

Je me rends donc dans un local de ménage pour y récupérer un seau et une serpillière, m'agenouille après avoir dûment rejeté la cravate dans le dos et m'échine à éponger les dégâts. Un secrétaire passant là me donne un coup de main en jetant une autre serpillière le long des plinthes qu'on sait poreuses. Nous essorons nos tissus et nous remettons à la tâche jusqu'au moment où, dans un sursaut, la cafetière pourtant débranchée décide d'un ultime soubresaut.

Le plastique cernant la base de l'engin claque d'un coup sec et une eau résiduelle se déverse, pas tout à fait chaude, sur ma manche gauche. Alors accroupi, je me redresse d'un bond, craignant une seconde salve plus chaude. Je suis peureux, c'est un fait, et le chaud n'est pas mon ami. Ce n'est en revanche qu'un petit souci à côté de la douleur qui irradie mon épaule quand elle heurte le plateau de la table.

D'aucuns me connaissent et se doutent que ce n'est pas un tout petit choc. La table est une ancienne table de salle de classe, suffisamment légère pour que, sous l'effet, le plateau s'incline et libère sur le sol la cafetière, le plateau contenant nos tasses propres, celui avec nos tasses sales et, tant qu'à faire, le four à micro-ondes servant à réchauffer les gandots* du midi. Me voici donc au milieu d'une apocalypse de tasses finissant de tournoyer au milieu des débris de leurs congénères, avec une cafetière qui n'attendait que cela pour finir de s'éclater en quelques morceaux, et un micro-ondes à la porte déboîtée, pendante.

Le soupir que je pousse à ce moment, alors que de nombreuses têtes, inquiètes du bruit, apparaissent dans l'encadrement, est digne de figurer dans mon hagiographie. Qu'on ne s'y méprenne pas ; c'est à ce moment-là seulement que je lâche une première salve. D'aucuns verbalisent leur étonnement d'entendre de ma part un langage aussi fleuri, tout en se proposant de nous aider. Je refuse poliment. C'est ma bêtise, après tout.

Et j'entreprends donc de ramasser le tout. Il me faut un balai, que je vais chercher dans le local voisin, ainsi qu'un sac poubelle. Le tout me prend quelques minutes. Le micro-ondes ne fonctionne plus ; la cafetière aura servi trois fois ici avant d'être déposée dans la benne de recyclage ; je suis quitte pour racheter un lot de tasses. Tournent en boucle dans ma tête des grossièretés velues, tandis que je rapporte dans le local d'entretien le fruit de ma matinée : deux serpillières souillées, un balai et un sac de vaisselle brisée.

C'est en rinçant la dernière serpillière, penché sur l'évier, que ma cravate se décide à retomber pour finir avec un tout petit bruit humide et mou dans un marigot de café dilué et d'éclats de faïence.


Gandots : En gaga stéphanois, le gandot est la gamelle en fer blanc dans laquelle les mineurs emmenaient leur casse-croûte, préparé à la maison, avec les produits du coin.