poidsplume

un blog léger

Voici la traduction d'un texte d'Ursula K. Le Guin dans lequel elle se présente. Le texte original figure sur cette page (avec lancement automatique de la lecture audio par un robot). Je remercie particulièrement Milouchkna qui a procuré la version textuelle de l'image et contribué à la traduction. Elle a par ailleurs traduit plusieurs recueils de poèmes de Le Guin. Important : en l'ignorance du statut légal du texte original, cette traduction est effectuée sans autorisation. Elle sera donc retirée de ce blog si une autorité légitime le demande.

Traduction collaborative (par ordre alphabétique) : goofy, Milou, mo, Numahell

Je me présente

Ursula K. Le Guin

Je suis un homme. Vous allez peut-être vous dire que je me suis bêtement trompée de genre, ou peut-être que j’essaie de vous faire marcher, vu que mon nom se termine par A, que j’ai trois soutiens-gorges, que j’ai été enceinte cinq fois, et d’autres trucs de ce genre que vous avez peut-être remarqués, des petits détails en somme. Mais les détails n’ont pas d’importance. Si nous avons quelque chose à apprendre des hommes politiques, c’est bien que les détails n’ont pas d’importance. Je suis un homme, et je veux que vous le croyiez et l’acceptiez ainsi, comme je l’ai fait pendant de nombreuses années.

Photo courtesy Euan Monaghan/Structo

Vous savez, j’ai grandi à l’époque des guerres entre les Mèdes et les Perses, et quand je suis allée au lycée juste après la guerre de Cent ans, puis quand j’ai élevé mes enfants pendant les guerres de Corée, la guerre froide et celle du Vietnam, eh bien il n’y avait pas de femmes. Les femmes sont une invention très récente.

J’ai précédé l’invention des femmes de plusieurs dizaines d’années. Enfin bon, si vous tenez à la précision pédante, je dirais que les femmes ont été inventées plusieurs fois, en des lieux extrêmement variés, mais les inventeurs ne savaient tout simplement pas vendre le produit. Leurs techniques de distribution étaient rudimentaires et leurs études de marché étaient nulles, donc évidemment le concept n’a pas décollé.

Même si un génie l’a mise au point, une invention doit trouver son marché, et tout s’est passé comme si, pendant longtemps, l’idée de femmes n’avait tout simplement pas franchi la ligne de départ. Les modèles comme l’Austen ou les Brontë étaient trop compliqués, les gens se moquaient des suffragettes, et la Woolf était bien trop en avance sur son temps.

Donc, quand je suis née, il n’y avait vraiment que des hommes. Les gens, c’étaient des hommes. Ils avaient tous un seul pronom, le pronom il ; c’est ce que je suis. Je suis un il, comme dans « Si quelqu’un a besoin de vomir, qu’il le fasse dans son chapeau » ou « Un écrivain, il sait de quel côté sa tartine est beurrée ». C’est moi, l’écrivain, il. Je suis un homme. Peut-être pas un homme de première classe. Je suis tout à fait disposée à admettre que je suis peut-être une sorte de succédané d’homme de second ordre, un prétendu homme. En tant que « il », je suis, par rapport au mâle authentique, ce qu’est un bâtonnet de poisson pané au micro-ondes par rapport à un saumon royal entier au grill. Je veux dire, après tout, est-ce que je peux inséminer quelqu’un ? Appartenir au Bohemian Club ? Diriger General Motors ? Théoriquement, oui, mais on sait où nous mènent les théories. Pas à la direction de General Motors, et si un jour une Radcliffe devient présidente de l’Université d’Harvard, réveillez-moi pour me le dire, d’accord ?

Et puis, je ne peux pas écrire mon nom en pissant sur la neige. Ni flinguer ma femme, mes enfants, quelques voisins et enfin moi-même. Mmmh pour dire la vérité, je ne sais même pas conduire. Je n’ai jamais eu mon permis. Je me suis dégonflée. Je prends le bus. C’est affreux. Je l’admets, je suis une très pâle imitation ou substitut d’homme, vous pouvez le voir quand j’essaie de porter ces vêtements des surplus de l’armée à la mode avec des poches pour les munitions qu’on trouve dans les catalogues d’une République Bananière, alors j’ai l’air d’une poule dans une taie d’oreiller. Je n’ai pas la forme qu’il faut. Les gens sont censés être minces, non ? On n’est jamais assez mince, tout le monde le dit, surtout les anorexiques. Les gens sont censés être minces et musclés parce qu’en général c’est ainsi que sont les hommes, minces et musclés, ou plutôt c’est ainsi que beaucoup d’hommes sont au début, et certains le restent.

Les hommes sont des gens, les gens sont des hommes, c’est un fait dûment établi ; et donc les gens, les vrais gens, les gens du bon côté, sont minces. Mais je ne suis vraiment pas douée pour être les gens, parce que je ne suis pas mince du tout mais plutôt ronde et vraiment grasse par endroits. Je suis le contraire de musclée. Et les gens sont supposés être musclés. Être costaud, c’est bien. Mais je n’ai jamais été costaud. Je suis douce et plutôt du genre tendre. Comme un bon steak. Ou comme le saumon royal, qui n’est pas mince ni costaud mais très riche et tendre. Mais bon, les saumons ne sont pas des gens, du moins on nous a dit récemment qu’ils n’en étaient pas. On nous a dit qu’il n’existe qu’une seule sorte de gens, et ce sont les hommes. Et je crois qu’il est très important que nous en soyons tous persuadés. C’est certainement très important pour les hommes. Ce qui revient à dire, je suppose, que je ne suis pas viril. Comme Ernest Hemingway était viril, avec sa barbe, et ses armes, et ses femmes, et ses petites phrases courtes. J’essaie vraiment. J’ai un truc vaguement barbu qui essaie tout le temps de pousser, neuf ou dix poils sur la peau, parfois même un peu plus : mais qu’est-ce que je peux en faire de ces poils ? Je les épile. Est-ce qu’un homme ferait ça ? Les hommes ne s’épilent pas. Les hommes se rasent. De toutes façons les hommes blancs se rasent, et j’ai encore moins le choix entre être ou non un Blanc et être ou non un homme. Je suis Blanche que ça me plaise ou non. Mais je fais de mon mieux pour ne pas l’être, j’espère, dans ces circonstances, parce que je ne me rase pas. Je m’épile. Mais ça ne veut rien dire parce que je n’ai pas une vraie barbe qui ressemblerait à quelque chose. Et je n’ai pas d’armes et je n’ai même pas une femme et mes phrases s’allongent toujours plus, et toute la syntaxe avec elles. Ernest Hemingway aurait préféré mourir plutôt qu’avoir de la syntaxe. Ou des points-virgules. J’utilise beaucoup de points-virgules foireux ; en voilà un, à l’instant ; c’était donc un point-virgule après “points-virgules,” et un autre après “à l’instant.” Et puis autre chose. Ernest Hemingway aurait préféré la mort à la vieillesse. Et c’est ce qu’il a fait. Il s’est tiré une balle. Voilà une courte phrase pour une courte vie. Tout sauf une longue phrase, une longue vie. Les peines de mort sont courtes et très très viriles. Les peines de vie, non. Elles s’éternisent, pleines de syntaxe et de clauses qualificatives, de références confuses et vieillissantes. Et c’est là que se trouve la preuve réelle du gâchis que j’ai fait en étant un homme : je ne suis même pas jeune. Juste au moment où ils ont fini par inventer les femmes, j’ai commencé à vieillir. Et j’ai continué à le faire. Je ne me suis pas arrêtée. Je me suis laissée vieillir et je n’ai rien fait pour y remédier, que ce soit avec une arme ou autre. Ce que je veux dire, c’est que si j’avais vraiment un peu de respect pour moi-même, je me serais fait faire un lifting ou une liposuccion, non ? Bien que la liposuccion me semble être ce qu’ils se font beaucoup à la télé quand ils sont jeunes ou plutôt jeunes mais pas quand ils sont vieux et quand l’un d’eux est un homme et l’autre une femme, mais jamais dans d’autres cas de figure. Voilà ce qu’ils font, ce jeune ou plutôt jeune homme et cette femme : ils s’étreignent et font glisser leurs mains l’un sur l’autre, puis ils font une liposuccion. Vous êtes censés les regarder faire ça. Ils bougent leur tête et aplatissent leur bouche et leur nez sur la bouche et le nez de l’autre, et ouvrent leur bouche de différentes façons, c’est alors que vous êtes censés ressentir une sorte de chaleur et d’humidité en les regardant. Ce que je ressens c’est que j’ai l’impression de regarder deux personnes se faire une liposuccion, et que c’est ainsi qu’ils ont finalement inventé les femmes ? Sûrement pas. En fait, je pense que le sexe est encore plus ennuyeux, en tant que sport spectacle, que tous les autres sports spectacles, même le baseball. Je veux dire, si je devais regarder un sport au lieu de le pratiquer, je prendrais le saut d’obstacles. Les chevaux sont vraiment beaux à regarder. Les gens qui les montent sont pour la plupart des nazis, mais comme tous les nazis, ils n’ont que la puissance et le succès du cheval qu’ils montent, et c’est après tout le cheval qui décide s’il doit sauter cette barrière à cinq barreaux ou s’arrêter net et laisser le nazi passer par-dessus son cou. Seulement, en général, le cheval ne réalise pas qu’il a le choix. Les chevaux ne sont pas très futés. Quoi qu’il en soit, le saut d’obstacles et le sexe ont beaucoup en commun, même si vous ne pouvez généralement voir le saut d’obstacles à la télévision américaine que si vous pouvez capter une chaîne canadienne. Si j’avais le choix, bien que j’oublie souvent que j’ai le choix, je regarderais certainement du saut d’obstacles et ferais l’amour. Jamais l’inverse. Mais je suis trop vieille désormais pour le saut d’obstacles, et quant au sexe, qui sait ? Moi je sais, vous non.

Il va de soi que quand on est dans l’âge d’or ces temps-ci on est censé sauter de lit en lit tout comme les chevaux sautant les obstacles à cinq barres, bondissent et hop et hop et hop… mais une bonne part de cette affaire de sexe à soixante-dix ans semble être de la théorie à nouveau. Comme la femme PDG de General Motors et la femme présidente d’Harvard (la théorie est inventée principalement pour les gens dans leur quarantaine, principalement des hommes qui sont inquiets). C’est pourquoi nous avons eu Karl Marx, et pourquoi on a toujours des économistes, bien qu’on ait, semble-t-il, perdu Karl Marx. De ce fait, la théorie, c’est génial. Quant à la pratique, ou la praxis comme l’appellent apparemment les Marxistes car ils aiment les « x », attendez d’avoir soixante ans ou plus et alors vous pourrez me parler de votre pratique, ou praxis, sexuelle, si vous voulez, bien que je ne promette pas d’écouter, et si je le fais, je mourrai probablement d’ennui et me mettrai à la recherche d’une course de sauts d’obstacles à la télé. Quoi qu’il en soit, vous ne m’entendrez pas parler de ma pratique, ou praxis, sexuelle, ni maintenant ni plus tard. Mais tout cela mis à part, me voici, vieille, sexagénaire, « un homme public souriant de soixante ans », comme disait Yeats, mais enfin, c’était un homme. Et c’est entièrement de ma faute. Je suis née avant qu’on invente les femmes, je vis et continue à vivre toutes ces décennies en essayant si fort d’être un homme bien que j’ai oublié comment rester jeune, et donc je ne le suis pas restée. Et mes temps se sont tous mélangés. Je suis jeune et tout d’un coup, j’ai soixante ans. Il doit y avoir quelque chose qu’un vrai homme aurait pu faire à ce sujet. Quelque chose sans armes, mais plus efficace que l’huile d’Olay. Mais j’ai échoué. Je n’ai rien fait. Je n’ai absolument pas réussi à rester jeune. Et puis je repense à tous mes efforts considérables, parce que j’ai vraiment essayé, j’ai essayé à fond d’être un homme, d’être un homme bon, et je vois à quel point j’ai échoué : je suis au mieux un mauvais homme. Une imitation de seconde zone avec une barbe de dix poils et des points-virgules. Et je me demande à quoi ça a servi.

Ursula K. Le Guin in 2016. Photo courtesy of and copyright William Anthony.

Parfois, je me dis que je ferais mieux de tout laisser tomber. Parfois, je me dis que je ferais aussi bien de prendre ma décision, de stopper net devant l’obstacle à cinq barreaux et de laisser le nazi tomber sur la tête. Si je ne suis pas douée pour faire semblant d’être un homme et pour être jeune, autant commencer à faire semblant d’être une vieille femme. Je ne suis pas sûre que quelqu’un ait encore inventé les vieilles femmes, mais ça vaut peut-être la peine d’essayer.

The Bloody Fucking Day

Une journée presque ordinaire au lycée

par Monsieur B.

Les cas COVID, on commence à avoir l'habitude ; le protocole est rôdé, on nous le signale, on piste les cas contacts, on signale et l'ARS prend le relais. Mais le cas du gamin dont les propos ne collent pas en la matière, je ne vois pas. Une heure perdue avant de comprendre que le garçon refuse d'admettre qu'il a ôté son masque, simplement parce qu'il ne veut pas dire que c'était pour embrasser une fille, alors que sa mère est là.

L'élève dont la pathologie cardiaque n'est pas encore déterminée et qui fait un malaise dans la cour, c'est moins commun. Une heure plus tard (une autre heure que celle perdue dans la première partie), pompiers et SAMU sont repartis et il faut calmer l'émoi autant que les rumeurs. L'élève va bien, les premiers bilans faits sont place sont rassurants, et nous avons géré la chose comme il fallait – M. l'Inspecteur d'Académie m'en a remercié.

Au moment où tournait au bout de l'allée la fluorescence du SAMU, la CPE du LGT venait me chercher à l'aide pour gérer la foire qu'était devenu le cours d'un enseignant contractuel de maths-science. Un bordel inouï, en effet. J'étais le quatrième adulte à intervenir. La cravate, sans doute, aide un peu. Le sermon a duré six minutes. Quatre ont pu rigoler, que j'ai immédiatement exfiltrés à la direction. Je n'ai pas été doux au téléphone avec les parents.

(Ou comment tout arrive justement quand vous êtes seul à la barre parce que le collègue est en réunions à l'extérieur toute la journée.) La cafetière expresso de notre petit espace de repos a décidé de ne plus marcher.

Un garnement à St Malo

Nous étions un dimanche sur la grève, à l’éventail de la porte Saint-Thomas et le long du Sillon ; de gros pieux enfoncés dans le sable protègent les murs contre la houle. Nous grimpions ordinairement au haut de ces pieux pour voir passer au-dessous de nous les premières ondulations du flux. Les places étaient prises comme de coutume ; plusieurs petites filles se mêlaient aux petits garçons. J’étais le plus en pointe vers la mer, n’ayant devant moi qu’une jolie mignonne, Hervine Magon, qui riait de plaisir et pleurait de peur. Gesril se trouvait à l’autre bout du côté de la terre. Le flot arrivait, il faisait du vent ; déjà les bonnes et les domestiques criaient : « Descendez, mademoiselle ! descendez, monsieur ! » Gesril attend une grosse lame : lorsqu’elle s’engouffre entre les pilotis, il pousse l’enfant assis auprès de lui ; celui-là se renverse sur un autre ; celui-ci sur un autre : toute la file s’abat comme des moines de cartes, mais chacun est retenu par son voisin ; il n’y eut que la petite fille de l’extrémité de la ligne sur laquelle je chavirai et qui, n’étant appuyée par personne, tomba. Le jusant l’entraîne ; aussitôt mille cris, toutes les bonnes retroussant leurs robes et tripotant dans la mer, chacune saisissant son marmot et lui donnant une tape. Hervine fut repêchée ; mais elle déclara que François l’avait jetée bas. Les bonnes fondent sur moi ; je leur échappe ; je cours me barricader dans la cave de la maison : l’armée femelle me pourchasse. Ma mère et mon père étaient heureusement sortis. La Villeneuve défend vaillamment la porte et soufflette l’avant-garde ennemie. Le véritable auteur du mal, Gesril, me prête secours : il monte chez lui, et, avec ses deux sœurs, jette par les fenêtres des potées d’eau et des pommes cuites aux assaillantes. Elles levèrent le siège à l’entrée de la nuit ; mais cette nouvelle se répandit dans la ville, et le chevalier de Chateaubriand, âgé de neuf ans, passa pour un homme atroce, un reste de ces pirates dont saint Aaron avait purgé son rocher.

Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe, livre premier

(Au pôle sud, sur la banquise au moment où elle craque...)

D'immenses nuages pendaient du ciel comme des frises et se secouaient comme des vélums, et parmi leurs déchirures, leur agitation et leurs trous, le soleil explosait dans la couleur crépitante, éclaboussante comme celle d'un millier de projecteurs qui s'entre-déchirent et tournent, virent. Au-dessus de ce vertige de taches tourbillonnantes, délirantes et emportées comme de folles toupies, le vent montait son diapason de seconde en seconde. Maintenant, il glissait comme un rasoir continu, de long en large, tout au travers du champ de glace, et de longues fissures couraient derrière lui, des lézardes zigzaguantes, des craquelures, des coupures qui allaient s'élargissant comme des plaies et dont les lèvres fendues faisaient gicler immédiatement une eau noire et bouillonnante. Des jets d'écume bavaient. D'énormes icebergs culbutaient. Des champs de glace montaient les uns sur les autres, s'abordaient, s'écrasaient avec fureur. Dans les éperonnements, le pack était projeté en l'air et des blocs retombaient en ronflant comme de gros obus et en faisant rejaillir une trombe d'eau. Tout se concassait, se rompait, s'émiettait, se disloquait et, pris de frénésie, se mettait hystériquement en branle. Tout se lâchait, se vidait, par en haut ou par en bas, tout partait à la dérive, tumultueux, éperdu, désordonné, défaillant, aspiré, refoulé, tohu-bohu, fuite, panique des éléments en pagaïe, panique de la nature mise en déroute par la lanière cinglante du blizzard.

Blaise CENDRARS Dan Yack (1927)

Un poème de Queen of Argyll
[Publication originale sur son blog, en italien].

Gatto poeta

Il gatto poeta aveva il grande dono di veder le cose al di là di quel che sono. Appesero al soffitto una luna di cartone e il gatto la fissò con entusiasta ammirazione. “Non è la luna vera, razza di fesso!” “Allora perché il cuore mi si illumina lo stesso?”

Ce qui donne à peu près en français :

Le chat poète

Le chat poète avait l’extraordinaire don de voir les choses au-delà de ce qu’elles sont. On avait suspendu au plafond une lune en carton et le chat fasciné la regardait avec admiration. — mais ce n’est pas une vraie lune, idiot petit minet ! — alors pourquoi mon cœur est-il lui aussi illuminé ?

Illustration par l’autrice

ma traduction d'un poème en italien de QueenOfArgyll, publié sur son blog

On grandit trop vite. On finit pas se rabougrir le cœur sans même s'en rendre compte et par oublier le pouls qui bat au bout des doigts quand on se tient par la main quand on grimpe sur les clôtures des maisons en ruine et qu'on pose une libellule sur son doigt.

Illustration de l'autrice

un texte de Queen Of Argyll d’après la version originale en italien sur son blog

L'orange

À cette époque de l'année j'ai vraiment du mal. Mais. Je sens l'orange. Je crée avec des mots. J'ai les cheveux doux.
Une fenêtre qui donne sur un clocher où pousse de l'herbe. Des voix réconfortantes. Des vignes rouges et des murs de briques. Des pulls dans lesquels m'abriter. Des livres qui me caressent. Des provisions pour les muscardins. Des pinceaux avec lesquels je parle.

Illustration de l'autrice

Un Cyrano

Le texte qui suit est de MonsieurB, qui l’a d’abord publié sur son compte Mastodon. Une petite chronique d’une journée parmi d’autres à l’époque du confinement…

Je ne vous ai pas raconté la mésaventure d'il y a trois jours, lors de ma première sortie à la supérette du coin depuis le début du confinement. Elle vaut pourtant son pesant de cacahuètes, avec du malotru et du sublime dedans. Vendredi, donc, sortie à la supérette pour recharger un peu le frigo. Nous avons une moyenne surface au bas de la colline, qu'on appellera Croisement Marché pour ne faire de publicité à personne.

J'y arrive donc, après une petite marche sans croiser grand-monde. Devant l'entrée, une demi-douzaine de clients clairsèment le parking, debout. La moitié porte un masque ou se couvre la bouche d'un amas d'écharpes et de foulards. Je comprends rapidement que l'entrée est filtrée. En effet, un vigile se tient dans l'encadrement des portes coulissantes, attendant que des clients sortent pour en faire entrer de nouveaux.

On commence à discuter de loin en loin : le vigile nous dit dans un accent imparfait que seuls cinq clients sont autorisés à la fois dans le magasin. (Ça fait peu : on joue sacrément le jeu, à Croisement Marché.) On distingue les employés qui portent des masques. Inévitablement, ça se met à parler des conditions actuelles, se demandant si tout ceci est bien raisonnable. Il y a des pour. Il y aura surtout un contre, qui n'a pas encore rejoint la conversation.

Mais le voilà. Il conduit un break Laguna vert olive qu'il gare comme un pied sur une place réservée à la pharmacie d'un côté. C'est un moyen échalas, au crâne rasé, à la démarche de canard sous acide. Ce n'est pas du genre à regarder devant soi, mais plutôt par terre, le regard froncé. Dégaine de cow-boy.

Du coup, il avance sans trop voir. On lit un mélange de surprise et de consternation quand il nous aperçoit enfin qui attendons dans le soleil.

— Hein ? On fait quoi, là ?

— On attend, dit un monsieur un peu âgé qui n'avait pas encore parlé jusque là.

— On attend quoi ?

— On attend, enchaîne le vigile, que les clients sortent. Vous ne pouvez pas être trop nombreux dans le magasin.

Le cow-boy, qui parlait en se dandinant comme s'il attendait qu'on libère des toilettes, s'immobilise alors enfin. On sent qu'il se concentre vraiment, qu'un argument de belle nature va sortir.

— Mais j'ai des trucs à acheter, moi !

Une dame libère sa bouche d'un foulard bleu ciel :

— Et nous ? Vous croyez qu'on fait une partie de crapette ? (Je note l'incongruité du mot “crapette” dans ce contexte.)

— Ouah, mais c'est bon, quoi ! J'ai des trucs à acheter, je peux rentrer, non ? (Jetant un coup d'œil dans le magasin.) C'est bon, quoi, y'a personne !

Le vigile rappelle qu'il ne peut y avoir plus de cinq clients dans le magasin à la fois.

‑ Rhâââ, putain, ça va, c'est bon, laisse tomber, je suis trop pressé, là.

Le cow-boy fait mine de retourner vers son destrier vert olive qui, je le remarque soudain, empiète d'une bonne largeur de pneu sur la place de la pharmacienne, mais se retourne aussitôt et tente de rentrer en force dans le magasin. La dame au foulard bleu ciel s'indigne, le vigile s'interpose, attrape le malotru par la taille, le plaque sur le mur extérieur et lui attrape la gorge : — Tu remontes dans ta voiture.

Ç'aurait pu être une salve d'injures, mais cette seule phrase a suffi. Le cow-boy, rougi par la strangulation, n'a même pas pris le temps de lisser son ticheurt, il est reparti dare dare vers son véhicule, qu'il a démarré en trombe en pointant du doigt le vigile. Sans doute y avait-il des mots avec, mais personne ne les a entendus.

Voilà pour le malotru.

Le sublime viendra plus tard. Je peine à vous faire un récit avec deux enfants dans les pattes (oui, elles sont rentrées) et un riz cantonnais que je prépare dans le même temps.

Le sublime, je l'ai déjà mentionné, sans que vous imaginiez son rôle à venir.

C'est le monsieur âgé qui était resté en retrait et qui s'est longtemps contenté d'un « On attend » dit sur un ton amusé. Amusé, il pouvait sans doute l'être, contemplant ces petites vies qui avaient l'occasion peut-être unique de se croiser et de parler un instant, réunies dans la même condition.

Peu de temps après que le cow-boy a quitté la scène, une poignée de clients est sortie. Le vigile a fait entrer trois nouveaux. Nous qui restions dehors avons fait quelques pas en avant, veillant toujours à rester à une distance confortable des autres. Trois autres personnes nous ont rejoints et comme nous ne formions pas de ligne explicite, ça s'est rapidement perdu en conjectures pour savoir qui mériterait de rentrer à la vague suivante. Tout cela respirait une folle urbanité.

Et puis un nouveau zouave est arrivé. Un zouave dont le confinement avait manifestement épuisé les réserves de bibine, et qui comptait refaire le plein. Un zouave d'une petite cinquantaine, défraîchi de plusieurs côtés, qui marchait droit mais parlait trop. Un zouave qui s'est approché de notre petit groupe en se moquant d'une voix que j'imaginais plus pâteuse :

— Alors, on fait la queue comme des moutons ? On respecte bien les règles, hein ? On ne veut pas tomber malades ?

La dame au foulard bleu ciel s'est décalée pour s'éloigner du zouave qui se penchait vers elle tout en parlant au groupe entier.

— J'en ai rien à foutre, du virus, moi. J'ai pas peur du virus, moi.

N'allez pas croire qu'il était ivre, non, c'était une simple démonstration de bêtise humaine.

— De toute façon, vous le voyez où, le virus ? Vous le voyez, vous ? Vous le voyez ?

Personne ne répondait. C'est le genre de situation où la gêne prend le pas sur tout le reste.

— Je crois bien qu'il existe pas, moi, le virus. Et que tout ça, c'est des conneries.

Ç'aurait pu s'arrêter là, mais le zouave a voulu prouver sa bravoure et s'est mis à donner des tapes dans le dos d'un jeune homme qui nous avait rejoints et attendait avec nous. Le jeune homme a eu un mouvement d'épaule pour faire comprendre à l'importun qu'il faisait n'importe quoi. Mais le zouave a recommencé avec un autre.

— Alors ? Vous l'avez le virus ? Vous l'avez, là ? Vous le voyez ?

Le vigile s'est approché en lui demandant de reculer pour rester à distance des autres clients.

La suite s'est déroulée en moins d'une minute, mais son souvenir est encore heureux, tant elle a contrasté avec le désagréable sentiment qui s'était mis à prévaloir.

Le zouave s'est retourné vers le vigile et l'a immédiatement pris dans ses bras dans une franche accolade qui a saisi d'effroi chacun de nous. Tétanisé, le vigile n'a plus bougé, n'a plus rien dit. Tout était suspendu.

Le vieux monsieur, alors, ne laissant pas même le temps au zouave de prendre la parole en triomphateur, a très délicatement glissé son caddie entre le zouave et le vigile. Il a lentement continué de le pousser pour séparer définitivement les deux et, se mettant d'un côté en laissant le zouave de l'autre, s'est adressé à lui avec des termes dont je ne saurais retrouver la perfection mais qui étaient à peu près ceux-ci :

— Monsieur, vous êtes un sot. Peut-être que vous n'êtes pas concerné par le virus, je suis même prêt à le souhaiter pour vous. Mais vous n'en savez rien. Ce que vous ne savez pas non plus, c'est qui chacun de nous va aller retrouver avec ses courses.

Qui parmi nous va se retrouver au contact d'une personne âgée et vulnérable qui, elle, souffrirait autrement plus de votre bêtise que n'importe lequel d'entre nous ici.

Qui est ici pour nourrir un enfant asthmatique qui serait une victime de choix pour la maladie qui nous préoccupe. Qui encore est peut-être un personnel soignant au repos mérité, qui retournera demain voir des patients qu'il contaminera sans le savoir à cause de vous. Vous n'en savez rien. Vous ne savez rien. Vous êtes un sot, Monsieur. Un sot.

Dans un mouvement superbement lent, cet homme chenu a retiré son caddie et est entré dans le magasin à l'invitation du vigile.

Je ne sais pas quand est parti le zouave, je ne le regardais pas. Alors qu'il finissait de disparaître dans l'encadrement assombri du magasin, j'avais pour le vieux monsieur les yeux qu'a Le Bret pour Cyrano.

Dieu. Ce panache !

Danser face aux glycines, dans l'indifférence du printemps

Traduction d’un texte de Queen of Argyll [Publication originale sur son blog, en italien].

La glycine

Le climat, en ce moment, est particulièrement cruel.

La ville, qui a toujours subi des pluies saisonnières insistantes de l'automne au printemps, est particulièrement sèche et propre cette année.
La brise, libérée des humains, sent le jasmin en fleur et les nouveaux bourgeons.
J'essaie d’emplir mes poumons de bouffées d'air, mais c’est difficile.
Le bleu du ciel me brûle maintenant les yeux ; le soleil ne me réchauffe qu'en surface.
Nous avons de nouvelles barrières : physiques, métriques, métaphoriques.
Nous avons appris à danser selon les pas du serpent silencieux, un tango solitaire mais à l’unisson pour nous fuir et nous épargner.
Quand je rentre chez moi, je lève les yeux vers la glycine douce et sans pitié. Elle semble se moquer de mon désir de printemps.
Peut-être devrais-je comprendre que ni elle ni le printemps ne se soucient de nos danses solitaires.
Une grande chance, en vérité.

Dessin d’illustration de l’autrice.

ma traduction d'un poème en italien de QueenOfArgyll, publié sur son blog

Baisers

Les baisers me manquent doux et humides de miel et de nuages, chauds comme des feuilles au soleil à la fin du printemps.

Baisers le long de la rivière dans la pluie fine de sucre ou dans la forêt des lits d'herbe, des langues de faunes.

Baisers de vin, enivrés de lucioles ou tout juste furieux après la tempête ou entre les draps d'une aube rougissante, enthousiaste, salivante.

Baisers au fond du cœur, jamais, jamais à la surface de l'eau : mais une douce apnée dans les profondeurs de l'autre.